Un pays barbare

Un pays barbare

Il était un pays barbare, de l’autre côté des mers…

Il était un pays déjà barbare lorsque arrivèrent les premiers colons européens et il avait peu changé depuis l’époque coloniale. Ses habitants aimaient déambuler dans les rues avec leurs armes à feu et tirer sur tout ce qui bougeait, de préférence sur les descendants des esclaves qu’ils amenèrent d’Afrique. Qui allait le leur reprocher, s’ils n’étaient que du gibier de potence ? Rares étaient ceux, parmi les maitres, qui étaient jugés et condamnés.  Les policiers ne valaient pas mieux, d’ailleurs ils regardaient beaucoup trop de séries télévisées et se prenaient tous pour des héros, pour des Starsky et Hutch. Eux aussi aimaient tirer sur les méchants ou supposés méchants et, plus il en tombait, plus ils étaient contents.

Les barbares peuplaient leurs prisons de pauvres gens, souvent des descendants d’esclaves qui n’avaient pas les moyens de se défendre et, parce qu’ils croyaient encore dans la loi du talion, ils continuaient d’appliquer la peine capitale. Ainsi des dizaines de prisonniers croupissaient pendant d’interminables années d’attente et de souffrance dans les couloirs de la mort.

Parce qu’ils croyaient aveuglément au dogme libéral, les barbares n’offraient presque aucune protection sociale, ni assistance médicale, aux plus pauvres. Les pauvres étaient pauvres parce qu’ils le voulaient bien, ceux qui voulaient s’en sortir devenaient riches. Et le néo-libéralisme, sauvagement mis en œuvre pendant des décennies, n’avait fait que renforcer les inégalités. La théorie du ruissellement, où l’État permet l’enrichissement des plus riches afin qu’ils réinjectent leurs revenus dans le système économique au bénéfice des plus pauvres, ne fonctionnait pas et n’avait fait qu’accroitre les différences entre classes sociales.  Plus d’un siècle et demi après l’abolition de l’esclavage, les tensions sociales et raciales demeuraient toujours très vives.

Beaucoup parmi les plus pieux croyaient encore au créationnisme et ils s’étaient fortement opposés au darwinisme. Dieu avait créé le monde en six jours, notamment toutes les espèces végétales et animales (dont l’homme) qui n’avaient pas évolué depuis la création du monde. Les dogmes religieux encadraient leur vie. D’ailleurs, les théories scientifiques leur semblaient particulièrement suspectes et ils étaient toujours très allants pour accepter n’importe quelle théorie farfelue, conspirationniste de préférence. Car ils pensaient que le monde entier leur en voulait et complotait contre leur beau pays. Certes, beaucoup étaient jaloux de leur richesse et de leur bien-être. Mais beaucoup voulaient aussi se venger de ce pays trop puissant, trop arrogant, trop impérialiste, trop va-t’en guerre, trop sûr de son bon droit et du modèle de société qu’il voulait exporter.

Si beaucoup de ces barbares priaient le dieu qu’ils avaient eux-mêmes créé, ils adoraient bien d’autres idoles et cultivaient assidûment le culte de l’argent, des objets, de la consommation. Ils avaient propagé à travers le monde ce désir sans fin de possession et de jouissance d’objets superflus ou inutiles, l’art du ne-pas-savoir-vivre, de la malbouffe.

Le pays des Barbares était divisé entre très riches et très pauvres, entre maîtres et esclaves, entre puritains et tenants d’une morale flottante, entre société technologique hautement développée et ghettos misérables.  

Ce pays barbare était dit le pays de tous les possibles, il faisait rêver et avait attiré pionniers et aventuriers du monde entier, intellectuels, artistes et politiciens persécutés dans d’autres pays barbares. Et ce pays barbare faisait toujours rêver des millions de femmes et d’hommes, qui perdaient souvent leur vie à tenter de rejoindre cet eldorado, noyés dans les rivières, morts de soif dans les déserts ou abattus par les garde-frontières. 

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