Meurtre en pays Maya
Extrait
Comme tous les dimanches matin, j’attendais à l’embarcadère. A 10h40, la petite vedette en provenance de Panajachel accosta enfin et déversa son flot de touristes. Ils étaient une vingtaine ce jour-là, en majorité américains, grands, gros et roses.
– Buenos dìas, good morning, bonjour, guten tag, buon giorno, mesdames et messieurs. Maximón, venez voir Maximón, cinq quetzals seulement.
Pedrito, mon meilleur ami, partit avec un couple âgé qui marchait avec peine. Ils s’engagèrent dans la rue qui mène du port au centre du village en se dandinant comme des canards. Moi, je capturai toute une famille, les parents et deux enfants de mon âge. Je les guidai vers un garage attenant à notre maison, où mon père avait installé Maximón. Mon père était le telinel de Maximón cette année– là. C’était une lourde charge, il devait l’héberger, le nourrir, le protéger. C’est à moi qu’il avait remis la clé et c’était donc moi qui faisais les honneurs du garage, expliquant aux touristes qui était Maximón. Je recevais aussi les offrandes qui seraient utilisées à la reconstruction de l’hôpital. En passant, je fis un petit signe à mon père, droit et fier, le chapeau de feutre sur les yeux, qui guettait les clients sur le seuil de sa galerie : « Flavio Reanda, pintor ».
– Hola, Abilio, me lança un peu plus loin la vieille Maria Coj, la doyenne du village.
Devant la pension Rosa, je jetai un coup d’œil à l’intérieur, mais Rosita n’était pas encore arrivée. Puis j’atteignis la rue où est construite notre maison. Je passai par-derrière, toujours suivi de ma famille de gringos, et m’arrêtai devant la porte de bois vermoulu, fermée par un lourd cadenas. C’est que notre Maximón est trop précieux pour ne pas prendre toutes les précautions. Je glissai la clé dans la serrure, ouvris et un cri douloureux s’échappa de ma poitrine : Maximón avait disparu !
Je laissai les touristes sur place et dévalai la rue vers l’atelier de mon père. Il était en discussion avec un groupe de dames babillant dans une langue que je ne connaissais pas, mais je l’interrompis en le tirant par la manche :
– Père, Maximón…
– Eh bien, quoi, Maximón ?
– Il a été volé.
Mon père pâlit, s’excusa auprès des clientes et demanda à son voisin, un vendeur de masques, de surveiller sa galerie. Il courut vers la maison et j’eus beaucoup de peine à le suivre. Je le retrouvai les bras ballants, la figure défaite. Maximón avait bel et bien disparu. L’heure était grave, non seulement pour mon père qui en avait personnellement la responsabilité, mais aussi pour tout le village de Santiago Atitlán. Notre Ri Laj Mam, c’est notre grand– père à tous, le protecteur du village, le frère jumeau du Christ. Dans une semaine allaient débuter les cérémonies de la Semaine Sainte. Si Maximón n’y apparaissait pas, si le rituel ne pouvait pas être célébré, qu’adviendrait– il de nous ?