Baliem, Une aventure en Irian Jaya
Extrait
Hartanto sortit sur la véranda avec ses instruments, poinçons, ciseaux, couteaux, pinceaux, ses peintures et ses feuilles en cuir de buffle qu’il caressa du bout de son index. Il aimait leur texture âpre, un rien rugueuse. Il releva légèrement son sarung et s’assit en tailleur, dos au mur et face au jardin. Les feuilles de son arbre unique, un manguier tordu et rabougri, battaient contre les pilotis en bois. Hartanto choisit son Rama déjà découpé et vérifia la douceur du contour. Puis, il prit son pinceau le plus fin et entreprit de peindre la tête tout en noir, à l’exception de la bouche et des sourcils. Son Rama était « jimat », et il devait le représenter prêt à partir en guerre. Les heures passèrent alors qu’il poursuivait son travail à la lueur d’une lampe à pétrole. Le wayang prenait vie. Il se rendit soudain compte du silence qui l’entourait. Quelques moustiques tournoyaient encore autour du tube effilé qui protégeait la flamme. Il leva les yeux vers les maisons voisines, mais elles étaient toutes plongées dans la pénombre. Les aiguilles phosphorescentes de sa montre marquaient presque minuit. Il s’étira, essuya la sueur qui gouttait sous son pici et entreprit de ramasser ses instruments et de nettoyer la véranda. Il le fit avec le soin qu’il aimait porter à chacune de ses actions pour que rien ne puisse jamais lui être reproché, ni par les hommes, ni par l’être omniscient qui le surveillait d’en haut.
Wes Koyoya planta son arc dans le sol, le reprit et recula de l’autre côté de la clairière. Il hurla son défi. Puis, un homme lança le cri du jokoik, qui fut repris de poitrine en poitrine. L’affrontement était désormais inévitable.
Chacun des deux groupes se prépara. Les hommes graissèrent lentement leur corps, plantèrent dans leurs cheveux des plumes d’oiseaux de paradis et se passèrent autour du cou des colliers de dents et de fourrure de kuskus. Ils écartèrent les armes à feu qu’ils laissèrent aux anciens, brandirent leurs arcs et leurs flèches, leurs longues lances pointues durcies au feu pour le combat au corps à corps, et leurs javelots de jet plus courts. Ils prirent position sur toute la largeur de la clairière.
En première ligne, les hommes les plus jeunes ou dans la force de l’âge, six ou sept dans chaque camp ; derrière venait la relève et encore plus loin, essayant de rester hors de portée des flèches, les hommes trop âgés pour combattre et les femmes.
Abel le prophète traça un sillon dans la terre et lança des imprécations vers le groupe ennemi.