Développement et lutte contre la pauvreté
Extrait
Tânia Macuácua est née en 1966 dans un village proche d’Inhaminga, dans la province de Sofala. En 1987, elle fut déplacée en pleine guerre civile avec son mari Mario et ses deux jeunes enfants dans la province de Gaza, au nord de Maputo, où le gouvernement octroya à sa famille quelques arpents de terre. Elle vit donc actuellement aux environs de Manjacaze, dans un petit village de la province de Gaza, situé à 45 kms de sa capitale, Xai-Xai. Bien que la guerre civile se soit achevée il y a 18 ans, elle n’a jamais pu faire valoir les droits de propriété sur les terres dont elle disposait dans son village natal. D’après ce qu’elle sait, elles appartiennent désormais au regulo (chef de village), membre de la Renamo.
Son mari s’en est allé, comme tant d’autres, travailler dans les mines du Gauteng en Afrique du Sud. Pendant quelques années, il revenait tous les ans avec des économies qu’il gaspillait en vêtements et bières avant que Tânia ne réussisse à en détourner une partie afin d’acheter une vache qu’elle possède toujours. Depuis 5 ans, Mario n’a plus donné signe de vie, l’abandonnant avec ses 4 enfants. Elle suppose qu’il a trouvé une autre femme là-bas, au pays du Rand.
La petite exploitation de Tânia fait donc vivre 6 personnes, elle-même, sa mère et ses 4 enfants. Elle possède un peu plus d’un hectare et serait pour cela presque considérée comme riche dans ce village misérable où la plupart des familles ne disposent même pas d’½ ha. Sa terre provient des terrains communaux mais elle ne possède aucun droit de propriété et risque l’expropriation si des personnes proches du pouvoir veulent s’en accaparer. Mais sa terre est peu fertile et n’a pour l’instant guère attiré les convoitises.
Tânia y produit du maïs et des haricots pour survivre au quotidien et un peu de sésame qui lui assure une rentrée irrégulière d’argent. Elle possède une vache et quelques poules. Le coton, qu’elle avait essayé de cultiver dans les années 1990, ne rapportait pas assez. Elle vend le sésame à bas prix à un commerçant de Xai-Xai qui fait des tournées régulières dans les villages. Elle habite trop loin de la ville pour aller vendre directement ses produits et en tirer un meilleur prix.
La famille de Tânia vit donc de maïs, haricots, lait et œufs qu’elle produit elle-même. Hors ces produits d’autosubsistance, son revenu issu de la vente de sésame est de quelque 200 USD par an. Grâce à sa mère, âgée et malade, elle reçoit une aide au titre du Programme de Subvention des Aliments (PSA) de 300 Mzn/mois, soit de prés de 100 USD/an pour un revenu total de 300 USD. Elle utilise cet argent pour l’achat de biens de base (vêtements, savons) et pour envoyer les deux enfants les plus jeunes à l’école. Comme les deux ainés, ils n’accompliront sans doute que le premier cycle primaire (EP 1 : 5 classes), la famille ne pouvant assurer les frais (scolarité, uniforme, matériel) pour deux classes supplémentaires et ayant besoin de bras pour les travaux agricoles. Ils apprendront quelques notions de portugais, de calcul et d’écriture. Elle ne peut acheter ni engrais, ni semences et se doit de bien conserver les semences de la récolte antérieure pour ressemer.
Les produits cultivés suffisent à peine pour une alimentation décente et il n’est pas rare, lorsque les réserves s’épuisent, que ses enfants aient faim. Elle a d’ailleurs déjà reçu il n’y a pas si longtemps une aide du Programme Alimentaire Mondial. Il n’y a pas de suivi médical, le village étant situé à prés d’une heure à pied du premier centre de santé et Tânia a ainsi perdu un enfant, mort du paludisme.
Des initiatives ont pourtant essayé d’apporter un supplément de bien-être au village. Une ONG danoise a soutenu la création d’une association villageoise (essentiellement composée de femmes) pour développer les cultures du sésame et du thé. Mais les résultats ont été décevants, tant à cause de l’ONG qui n’a assuré qu’un suivi épisodique du processus que des villageois qui se sont sentis peu concernés. De fait, les promesses gouvernementales, Révolution Verte, accès à l’éducation et à la santé pour tous, accès à l’électricité et à l’eau potable… n’ont eu aucun effet sur la vie du village qui est demeurée telle qu’elle l’était à la fin de la guerre civile. La route même qui le relie à la petite ville de Manjacaze est devenue au fil des ans une mauvaise piste difficilement praticable pendant la saison des pluies.
Pourtant Tânia veut se battre, espérant un meilleur avenir pour ses enfants. Elle envisage de souscrire un prêt de 50 USD auprès d’un organisme de microcrédit afin d’acheter une bicyclette. Son fils ainé de 18 ans pourrait ainsi vendre directement son sésame aux commerçants de Xai-Xai (45 kms, quand même) et en tirer un meilleur prix. Mais le taux très élevé (32%/an) et les incertitudes sur le prix du sésame lui font craindre de ne pouvoir rembourser les 66 USD qu’elle devra à la fin de l’année.
Tânia rêve de posséder cette terre où ses deux plus jeunes enfants sont nés et où sa mère sera sans doute un jour enterrée. Elle ne possède pas de DUAT (le fameux Direito de Uso e Aproveitamento da Terra) et d’ailleurs, qui a une idée précise de la propriété des terres du village, faute de cadastre ? Le processus de délimitation des terres a été suspendu il y a deux ans.
Elle voudrait aussi cultiver plus, ses deux fils ainés se consacrant désormais à temps plein aux travaux agricoles. Mais il n’y a plus vraiment de terres disponibles. Un député du Frelimo a « acquis » 500 ha aux alentours du village. Pourquoi faire s’il n’est pas du coin et les laisse en friche ?
Tânia rêve aussi d’un centre de santé qui puisse soigner sa mère malade, d’une école où ses enfants puissent compléter le cycle primaire (mais pour l’EP2, ils devraient marcher près de 20 kms aller-retour chaque jour). Elle rêve encore d’obtenir un prix correct pour son sésame et d’échapper au monopole de Hamid Amade, le commerçant de Xai-Xai…
Tânia n’est pas la plus défavorisée parmi les habitants du village. Elle est comme ces millions de Mozambicains, vivant en dessous du seuil de pauvreté et luttant jour après jour pour ne pas sombrer dans la grande misère. Un profond désenchantement la saisit parfois car il n’y a pour elle aucune perspective d’amélioration sociale et seuls ses rêves la maintiennent encore debout.