-Despote !
-Démon !
-Antéchrist !
-Il forme une église satanique, il veut faire de notre pays une communauté démoniaque !
-Il veut plonger le pays dans le néant, faire de nous un peuple sans dieu.
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Dans ce monde étrange, les adeptes de l’ancienne église et de la nouvelle église s’entre-déchiraient. Le Président voulait créer une nouvelle église à partir de rien. L’ancienne, dont la création remontait aux fondations même de l’Etat, était bien trop puissante et mettait en péril son pouvoir absolu. Et elle possédait beaucoup de biens, des églises, des monastères, des terrains en bord de mer qui pourraient être réquisitionnés et vendus à de riches investisseurs étrangers pour en faire des marinas et des complexes résidentiels haut-de-gamme. Avec quelques retombées financières pour l’Etat et pour lui. Ne serait-ce pas alors le paradis ? Et puis, créer une nouvelle église, c’était exalter le sentiment nationaliste de la majorité de la population.
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Pourquoi devrions-nous dépendre d’une église étrangère ? Oh, je sais bien, certaines personnes parmi mon peuple ne se reconnaissent pas dans cette lutte pour forger notre identité nationale. Voilà quinze ans que nous sommes indépendants du grand pays voisin et que je suis le Président. Mais quoi ! Nous parlons la même langue et pratiquons la même religion que nos puissants voisins. Nos poètes sont leurs poètes et leur musique notre musique. Nous avons été unis durant des siècles, alors comment nous différencier ? Eh bien, ce n’est pas très difficile, nous allons donner un nouveau nom à notre langue commune et créer une nouvelle église. Cela devrait être suffisant. Ou pas. C’est que ce peuple est obtus parfois. Il ne veut pas toujours me suivre. Je suis pourtant le père de l’indépendance. Sans moi, ce pays ne serait rien. Donc, je crée une église autocéphale, elle sera la seule église de mon pays.
Oui, mais voilà, mes voisins ne sont pas d’accord, ils disent que je brime leurs ressortissants, tous fervents supporteurs de l’ancienne église. Ils me menacent donc de représailles. Alors, je riposte en fermant les frontières entre nos deux pays. Et eux, commencent réagissent-ils ? Ils empêchent les avions de notre compagnie nationale d’atterrir sur leurs aéroports. Jusqu’où allons-nous aller ?
Et puis il y en a tant parmi mon peuple qui me trahissent, qui se disent fiers de notre nation mais qui restent cependant fidèles à l’ancienne église, celle de nos voisins et désormais ennemis. Bon, j’ai voulu mettre en prison quelques-uns parmi leurs plus hauts dignitaires. Et voilà que la communauté internationale s’en mêle… Et que j’ai dû les libérer après quelques jours de geôle. Et maintenant, ils me traitent de Satan, de démon, d’Antéchrist ! Mais que vais-je faire d’eux ?
Il est vrai que je suis un despote, mais au sein historique du terme. Un despotês, comme disaient les anciens Grecs. Dans l’empire byzantin, le despote était un seigneur vénéré qui, dans la hiérarchie aristocratique, venait juste après l’empereur. Il n’y a plus d’empereur mais le despote demeure. Et maintenant, on dit que le despote est un tyran, un dictateur. On le méprise, on le déteste, on veut le détruire. Non, moi je demeure un despote à l’ancienne, et personne ne me fera tomber de mon piédestal. Je suis le père de notre nouvelle patrie, c’est moi qui l’ai créée de toutes pièces et je tiens, plus que jamais, à affirmer notre identité nationale. Je serai un despote comme le fut Stefan… Ah non, non, pas Stefan, c’était un despote du pays voisin. Mais alors, nous n’avons jamais eu nous-même de despote. Ainsi, je serai le premier…
PS : toute ressemblance avec un pays existant ou ayant existé, même le Monténégro, est purement fortuite.