Sacré et vie quotidienne
Ainsi les Arts Martiaux font encore partie des activités privilégiées où l’homme retrouve un peu de sa sacralité perdue. Mais ils sont loin d’être les seuls. On pense bien-sûr aux arts traditionnels japonais tels que : calligraphie, art floral, cérémonie du thé, mais il ne s’agit pas non plus d’activités exclusives aux civilisations extrême-orientales.
Car c’est aussi le cas de nombreux sports : tir à l’arc, course, marche (toute marche est à l’origine rituelle; c’est un pèlerinage vers le centre du monde)… ; de la musique et des arts plastiques; et, pour certaines personnes, ce peut être le cas de tous les actes quotidiens.
Car le rituel est avant tout une attitude, un état d’esprit, une concentration (être centré sur un seul point) totale avec l’acte ou l’objet qui seule permet, par l’abolition du temps et la communion avec la divinité (on parlerait maintenant d’énergie cosmique ou de principe supérieur) d’en apprécier pleinement les effets. L’homme fait alors un avec cet objet et avec le Cosmos ; il est au centre de l’Univers. Il est concentré mais sans tension, son corps et son esprit sont totalement relaxés, naturellement.
Le Tchouang-Tseu nous donne de nombreux exemples d’hommes ordinaires, d’artisans ayant atteint une rare perfection. Ainsi le menuisier King : « Avant de travailler à mon support, je me gardai de dissiper mon énergie; j’ai gardé l’ascèse afin de calmer mon esprit… Après sept jours, j’oubliais brusquement que j’avais quatre membres et un corps… L’art m’absorbait si profondément que tout tracas du monde extérieur disparut « . Ou encore l’artisan Chouei qui « atteignit à une telle habilité parce que son âme, étant concentrée, était libre d’entraves. »
Et dans la tradition occidentale, rappelons-nous aussi Montaigne : « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. Nature a maternellement observé cela, que les actions qu’elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses, et nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par l’appétit : c’est injustice de corrompre ses règles. »
L’homme moderne, qui a développé ses facultés de raisonnement logique, a aussi perdu en grande partie le contact avec la nature et le sacré ; et il a perdu sa capacité intuitive de lire les symboles du monde qui, en donnant un ordre au Cosmos, donnaient un sens à sa vie.
Par la pratique de certains arts, l’homme peut être à nouveau pleinement lui-même, mais il doit s’efforcer d’agir de la même manière dans toutes ses activités « profanes », c’est-à-dire en étant pleinement dans ce qu’il fait, ici et maintenant.
Au-delà du Sacré
De ces différentes activités, nous pouvons dégager les caractéristiques suivantes :
– le rituel signifie abolition du temps et donc quête de l’immortalité perdue. Pratiquer un rituel, c’est vivre, ici et maintenant, dans un éternel présent afin de retrouver le paradis originel ;
– c’est recréer l’unité originelle, lorsque tous les êtres et les choses étaient unis dans le chaos qui précédait la création du Cosmos ;
C’est le sens de la quête de l’Altérité, cette recherche de l’Autre pour se fondre en lui et ne faire qu’un seul être homogène, androgyne. Détruire les différences, les contraires, c’est se rapprocher un peu plus du chaos. C’est retrouver cette unité qui précède la création d’un monde nouveau : la « coincidentia oppositorum ».
– c’est le but que poursuivent les grandes traditions mystiques, occidentales ou orientales ; pour les Taoïstes, c’est unir le yin et le yang dans le Tao; en Inde ou en Perse, c’est dépasser les deux principes polaires (Mitra/Varuna, Ahura Mazda/Ahriman).