Être et monde I

Être et monde I

Problème ontologique et métaphysique que n’ont cessé de se poser les hommes depuis l’aube des temps. Devant l’apparente absurdité d’une vie vouée à la destruction, l’homme a dû trouver un sens à son existence, et ce sens est lié au sacré. Car c’est par l’intermédiaire du sacré que l’homme se sent être pleinement dans le monde et peut atteindre à l’immortalité. C’est le rêve d’un paradis perdu à retrouver, d’un temps où l’homme était uni aux êtres et aux choses, lorsque l’histoire n’existait pas encore…

 

L’homme moderne, qui a en grande partie désacralisé son univers, tente de retrouver un peu de son humanité perdue dans les arts ou dans l’amour. Quelques instants fugitifs où l’homme se sent Autre, hors de l’histoire et hors du temps, et dont il s’efforcera de retrouver le goût tout au long de sa vie. Recherche d’un temps perdu qui n’était pas encore notre temps historique ; quelques secondes d’éternité qui valent bien une vie gâchée.

 

Pourtant l’homme pourrait vivre plus pleinement chaque seconde de sa vie qui passe, dans tous les actes de la vie quotidienne, s’il était à chaque instant totalement lui-même. Pour tenter une parabole biblique, il retrouverait le jardin d’Eden, celui d’avant la Chute, dont il fut chassé à cause de son péché originel : le mensonge (ou la tromperie envers lui-même), qui est le fait de ne jamais être pleinement conscient de ses actes.

   

 On peut distinguer deux modalités d’être dans le monde : le sacré et le profane. L’homme, dit « archaïque », prémoderne, essayait de vivre le plus possible dans un temps et un espace sacrés, car c’est dans ce temps et cet espace qu’il ETAIT pleinement. Tous les objets du monde et toutes les actions de l’homme n’acquièrent leur valeur et ne deviennent réels qu’en étant sacrés, et en recréant un comportement originel, un archétype.

 

C’est le but du rituel : recréer le monde tel qu’il fut créé par les Dieux, recréer une attitude, un objet, légués à la civilisation par un héros culturel. L’homme archaïque est un nostalgique de la perfection des commencements et de la présence divine.

 

Le temps profane et historique n’existe ainsi pas pour l’homme religieux ; le temps est cyclique et, par le rituel, peut toujours être recommencé et régénéré. C’est ainsi un retour régulier à l’archétype originel, une recréation du Cosmos à partir du Néant, lorsque l’homme devient contemporain des Dieux.

 

L’espace non plus n’est pas homogène, car il existe des lieux sacrés : arbres, rochers, maisons, et surtout temples, copies d’un archétype céleste et axes privilégiés de communication avec les Dieux.

 

Ainsi toute action ayant un but précis devait participer au Sacré : la construction des maisons (par le rite l’homme assume la création de son monde, celui qu’il a choisi d’habiter); la sexualité (l’homme reproduit l’union originelle, celle du Ciel et de la Terre); mais aussi les repas, les arts, la chasse, la lutte etc.

 

La totalité de la vie devait être sacrée, car pour tout acte existe un archétype divin que le rite peut reproduire. Le geste le plus quotidien devient ainsi un acte spirituel.

 

C’est ainsi que l’homme apaisait sa soif d’être, sa recherche d’absolu et de perfection, et donnait un sens à sa vie.

 

Il est bien certain que l’idée de répétition est souvent ennemie du progrès, sauf si l’introduction de nouveaux artefacts est cautionnée par la volonté divine.

 

L’homme moderne, areligieux, a ainsi désacralisé son univers, car le sacré était un obstacle à son épanouissement. Il a accepté l’histoire linéaire avec son passé et son avenir, le temps irréversible.

 

Dans ce sens, on peut dire des grandes religions de l’homme moderne (par rapport aux religions dites primitives), qu’elles constituent une dégénérescence, même si demeurent des traces de la régénération périodique de l’histoire, de l’éternel retour : année liturgique, nouvel an…

 

Mais ce ne sont que des vestiges d’une expérience dégradée, dans laquelle les rites ont perdu depuis longtemps leur signification. Malgré de brefs instants privilégiés, la majeure partie des activités humaines est devenue profane.

 

Parmi les principales caractéristiques du rituel, on trouve d’abord la répétition à l’infini de l’archétype, d’un acte accompli par les Dieux et par les Ancêtres. C’est cette répétition qui confère un sens et une réalité aux événements. Le temps de l’homme archaïque, comme celui du mystique, est alors suspendu; ou plutôt le temps mythique, originel de la création, est retrouvé. L’homme vit alors un perpétuel présent, sans passé ni avenir. Il est, ici et maintenant.

 

Pour cela l’homme doit être bien-sûr concentré sur son acte, sans laisser s’égarer sa pensée, comme ont pu le faire les Dieux au moment de la création. Et c’est parce que les Dieux ont fait les choses à la perfection que l’homme peut également les recréer à la perfection.

 

Le rituel est aussi un symbole, symbole du Cosmos que l’homme devait s’efforcer de lire, et qui transmuait son expérience en un acte spirituel. Ainsi l’arbre qui pouvait être Arbre du Monde, Arbre de vie, symbole du lien entre le Ciel et la Terre.

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