Sacré, Amour et Poésie
Pour Octavio Paz, amour et poésie participent d’un même mouvement, qui est la recherche, même fugace, d’instants privilégiés où le temps se fige.
L’histoire et la mythologie nous enseignent que l’homme a toujours considéré amour et poésie comme des activités sacrées : l’amour est bien évidemment relié à la création du monde, à l’accouplement primordial entre le ciel et la terre ou toutes autres entités primitives ; en refaisant cet acte, l’homme recréée non seulement un fragment d’humanité mais aussi le Cosmos.
Mais l’Amour, c’est encore la recherche de l’Autre et une tentative d’abolition des différences pour se fondre en la personne aimée.
Quant à la poésie, elle était, comme la musique, un instrument de communication avec les Dieux. Et comme certains d’entre eux qui créèrent le monde avec des mots, l’homme « archaïque » considérait que prononcer le mot, c’était créer l’objet.
La poésie, c’est la quête toujours renouvelée de fragments d’immortalité.
Sacré et Arts Martiaux
De nombreuses caractéristiques du Sacré apparaissent dans les Arts Martiaux ; leur pratique s’inscrit dans un espace et un temps privilégiés.
L’espace, c’est d’abord le dojo (le temple), le lieu de communion ; le temps, c’est l’éternel présent obtenu par la magie du rite. Celui-ci apparaît dès l’entrée du pratiquant dans le dojo : salutation sur le seuil, devant le Maître, éventuellement devant l’autel ; c’est aussi plier son uniforme tous les jours d’une certaine manière ; c’est enfin et surtout apprendre à se concentrer sur les moindres détails de la vie quotidienne.
Dans la pratique de l’Art, c’est la répétition d’un même geste, ce qui apparaît très nettement dans les formes : tai-chi-chuan, katas… Il s’agit de la recréation d’un archétype légué à l’homme par un Dieu ou un ancêtre primordial (Bodhidharma).
Les « Arts souples » de la Chine, indépendamment de leurs racines philosophiques taoïstes, dévoilent un symbolisme très étroitement lié à la notion de rituel.
Ainsi le Pa-Kua, l’Art des huit trigrammes, ceux-ci constituant la base du Yi-King, ou Livre des Transformations. Le Yi-King, livre de sagesse et de divination, tente d’englober la totalité de l’univers, du microcosme au macrocosme. C’est le livre du Temps et des événements continuellement changeants, mais dont le rythme, les structures, peuvent être retrouvés grâce aux 64 hexagrammes (formés à partir des 8 trigrammes).
Dans le Pa-Kua, les trigrammes sont imaginés être disposés en cercle sur le sol, et le pratiquant tourne tout autour du cercle, en adoptant l’une des huit postures de base, et en effectuant des changements rapides sur chacun des huit trigrammes. Le Pa-Kua est donc bien, comme le Yi-King, l’Art des Transformations. Et c’est aussi la recréation du mythe créateur du Cosmos :
« Au début, je suis immobile, il n’y a que le Tao. Mon premier mouvement est de lever les mains au-dessus de la tête ; puis je les lance vers l’extérieur et vers le bas pour décrire les deux moitiés d’un cercle ; je divise le Cosmos en deux éléments, le Yin et le Yang. C’est alors que je commence à me déplacer. En mettant en mouvement le Yin et le Yang, je deviens partie du changement infini et incessant qui est la vie du Cosmos. »
Les 88 mouvements du Tai-Chi-Chuan sont eux aussi en correspondance avec les hexagrammes du Yi-King. Mais surtout par ses enchaînements qui alternent mouvements yin et yang, les deux forces vitales du Cosmos qui se transforment l’une dans l’autre éternellement, il symbolise le Tao, la « Voie », principe régulateur du rythme du monde. Concrètement, le Tai-chi-chuan doit permettre au pratiquant l’union avec le Tao.
Il s’agit donc bien là aussi d’un rituel au sens très profond : recréation des mouvements du Cosmos et union avec le Divin.
Les Arts Martiaux sont donc dans leur essence un phénomène sacré, et on peut penser que les premières techniques de lutte de l’homme « archaïque » étaient un rituel, comme l’étaient toutes ses activités. Ces techniques primitives apparaissent encore dans de nombreuses cultures, mais ont souvent été assimilées dans les danses (en Afrique en particulier), et pour diverses raisons n’ont pas évolué en Arts Martiaux. Dans les civilisations occidentales, ces techniques se sont transformées en sport : escrime, boxes et luttes diverses.