Umuntu ngumuntu ngabantu signifie approximativement : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes » ou, plus littéralement : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous ».
Dans une conception assez communément admise au sein des peuples bantous (P. Tempels), il existe en effet des forces vitales, hiérarchisées, qui circulent entre tous les êtres, même inanimés, Dieu possédant la force suprême et étant le moteur originel de la force. Ces forces partent ainsi des dieux, descendent sur les grands ancêtres, les rois et les chefs jusqu’aux plus humbles parmi les humains. Les forces supérieures peuvent ainsi directement influencer les forces inférieures, leur communiquant leur influx vital.
L’homme peut ainsi capter les forces des autres êtres de la création et augmenter sa propre force. L’être humain (muntu dans de nombreuses langues congolaises ; umuntu pour les Zoulous et Swazis) peut être caractérisé comme une force vitale douée d’intelligence et de volonté. Toutes les créatures, à fortiori celles qui appartiennent à un même groupe humain, ont donc entre eux un lien, un rapport ontologique intime.
Il existe ainsi de nombreux exemples de monarchie sacrée, du Nigéria à l’Afrique du Sud, dans lesquels la force suprême descend vers le roi avant de se diffuser parmi ses sujets. Et il est aisé de retrouver ces éléments dans la monarchie d’Eswatini, ex-Swaziland, une monarchie absolue et « sacrée » où le pouvoir royal conserve une très forte emprise sur tous les aspects de la vie sociale. C’est ainsi qu’un lien quasi mystique relie le souverain bantou à son peuple. Le Roi est la personnification du peuple swazi. Comme tous les chefs bantous Nguni, il est le symbole de l’unité nationale. Il est le lien qui lie le peuple et son Dieu. Sa force renforce le peuple, sa faiblesse l’affaiblit.
C’est ainsi que peut s’expliquer cette cérémonie complexe qu’est l’Incwala ou cérémonie des premiers fruits, période sacrée entre toutes qui marque la fin d’une année et le début de la suivante, qui glorifie la force, la puissance, la fertilité du Roi et donc de celle de la nation toute entière. Rite de fertilité et de reconstitution de la force vitale du Roi. Le roi entre en réclusion pour un mois et, par l’intermédiaire de rites élaborés, demande aux esprits des ancêtres (emadloti) pluie et prospérité. Ces ancêtres doivent aussi transmettre leur sagesse au souverain. Il s’agit d’une cérémonie réservée aux jeunes hommes vierges, les futurs guerriers de la nation swazie. Les garçons doivent aller chercher le lusekwane, un arbuste qui pousse près des rivières, dans les bosquets denses recouverts d’épines. Ils le ramènent au kraal royal de Ludzidzini où il sera utilisé pour reconstruire l’enclos sacré dans lequel sera confiné le Roi pendant les rituels. Vient alors la lutte avec le taureau. On choisit en général un taureau noir et fort comme un buffle. Les jeunes guerriers doivent le maitriser, le jeter sur le sol, le frapper. Leur énergie pénètre alors le corps de la bête sacrifiée. Se produit un phénomène de substitution du sacrifice originel : le taureau remplace le Roi, le taureau est le Roi, puisque son sang sera ensuite mêlé symboliquement à celui du souverain. Il s’approprie ainsi la force du taureau, le rituel entraîne sa re-sanctification. On lui attribue d’ailleurs (ainsi qu’à la Reine-Mère, la « faiseuse de pluies ») des pouvoirs magiques (contrôle de la pluie, des guerres…). Le Roi est ensuite aspergé par le sang de ce taureau nourri par les premiers fruits de la nouvelle saison. Il peut alors revenir grandi vers son peuple, renforçant ainsi l’unité de la nation.
Nous ne sommes certes pas tous des rois swazis. Mais l’umuntu peut nous enseigner une certaine éthique avec, au premier rang, le respect. Le respect que nous devons avoir envers les autres, quels qu’ils soient, car tous les êtres vivants sont liés entre eux par le moyen d’une force vitale qui irrigue tout le courant de la création, jusqu’aux plus vils parmi les humains. Voilà ce que l’on a enseigné sur les terres bantoues depuis des générations. « Umuntu ngumuntu ngabantu ».