Il est un monde qui nous est proche, un monde au sein duquel les êtres humains sont seuls, isolés, se côtoyant mais sans parvenir à vraiment communiquer. Une communication profonde irait au-delà de l’échange de phrases conventionnelles, d’une vie faite d’amitiés superficielles ou même d’une vie à deux. Sans ce lien de très forte empathie, l’individu demeure totalement isolé, bien qu’il soit entouré de ses semblables, dans un monde fondamentalement hostile. Et s’il ne parvient pas à communiquer, il ne peut pas vivre. Communiquer, mais communiquer pleinement, avec un seul être serait sans doute suffisant pour emplir une vie. L’amour ou l’amitié ne sont que des moyens pour atteindre ce but. Et pas besoin de multiples amis ou amants, un seul suffit.
Mais sans doute est-ce un trait caractéristique de l’être humain que cette impossibilité à communiquer. Sans doute due à une véritable aversion de tout contact qui lui fait créer distances et obstacles entre lui et les autres. « Il n’est rien que l’homme redoute davantage que le contact de l’inconnu », écrivit Elias Canetti.
Il fut un écrivain du siècle passé qui passa sa vie et consacra son œuvre à explorer ce thème. Communiquer avec son père, son mari, puis son amant, c’est ce qu’Ágata Cruz, l’héroïne d’Eduardo Mallea, tenta en vain de faire avant de sombrer dans la folie. Chaves, quant à lui, tenta d’établir cette communication par les mots avant de replonger dans le mutisme, se séparant encore davantage de ses semblables, incapable de se lier véritablement et refusant de communiquer superficiellement. La parole ne constitue qu’un lien apparent, sans substance, entre les hommes. D’ailleurs, les deux amis, Durán et Pinas, ne parviennent jamais à établir et consolider ce lien et leur isolement les conduit tous deux à la mort.
Alors, comment communiquer, si les mots ne font qu’effleurer la surface des choses ? Une communion spirituelle est-elle possible ? Une vie intérieure peut-elle compenser ce manque ? Jacobo Uber le crut mais il se rendit compte qu’il ne faisait que flotter dans la vie, sans réel point d’ancrage, avant de disparaître dans les flots du fleuve.
Pour eux tous, pour tous ceux qui sont dans l’incapacité de communiquer, leur isolement ne les conduit que dans une impasse au fond de laquelle les attend la folie ou la mort.
Rares sont ceux pour lesquels l’éloignement délibéré d’un monde superficiel leur permet d’accomplir et d’affirmer leur propre personnalité. Peut-être, comme Roberto Ricarte, ceux-là sont-ils alors en mesure d’établir une relation empathique avec leurs semblables, une communion avec le monde.