Serbie, nombril du monde

Serbie, nombril du monde

Il était un petit pays qui voulait devenir grand. Coincé entre de puissants voisins, envahi, vassalisé, malmené au cours des siècles, son peuple s’était éparpillé dans la vaste péninsule balkanique, se mêlant avec d’autres peuples, qui parlaient d’autres langues, pratiquaient d’autres religions, utilisaient d’autres alphabets.

Et ce petit pays, devenu enfin autonome puis indépendant, voulut regrouper sous une même bannière l’ensemble de son peuple. C’était le rêve d’une Grande Serbie, théorisé en 1844 avec le Načertanije, projet nationaliste basé sur l’expansion territoriale et l’unification ethnico-linguistique des Balkans, afin de créer un grand État des Slaves du sud, autour de la Serbie.

Puis survint l’attentat de Sarajevo en 1914, perpétré par un groupe de jeunes terroristes du mouvement Jeune Bosnie, plutôt genre pieds-nickelés, grâce à des armes fournies par la Main Noire, une société secrète soutenue par les services secrets serbes. Le degré d’implication du gouvernement serbe demeure controversé ; peut-être aurait-il même tenté d’étouffer les menaces terroristes en Bosnie, voire d’en informer les autorités austro-hongroises. Quoi qu’il en soit, Gavrilo Princip, est depuis lors un héros en Serbie, avec sa statue qui trône dans un parc de Belgrade proche du ministère des finances.

Alors la grande guerre éclata, conséquence d’une suite complexe d’événements, Gavrilo Princip n’ayant allumé que la mèche du baril de poudre sur lequel l’Europe était assise. Mais le premier conflit mondial demeure encore aujourd’hui profondément ancré dans la mémoire collective des Serbes. Et comment ne le serait-il pas ? Au-delà des premières défaites, le David serbe avait finalement vaincu les trois Goliath : les empires ottoman, austro-hongrois et allemand. Mais à quel prix ? La Serbie était sortie du conflit exsangue et démographiquement très affaiblie.  En 1929, le Royaume de Yougoslavie se substitua alors au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, créé en 1918.  Puis survint la seconde guerre mondiale, conséquence directe de la Première, notamment due au règlement insatisfaisant de la Grande guerre et aux ambitions expansionnistes  du Troisième Reich. La résistance communiste des Partisans de Tito sortit vainqueur du conflit, avec le soutien des Alliés, et la République fédérative socialiste de Yougoslavie naquit en 1945, portant déjà en elle les tensions nationalistes qui allaient éclater après la mort de Tito en 1980.

Puis suivirent dix ans de guerres fratricides, dont le conflit en Bosnie Herzégovine qui, avec ses 100 000 morts et son million de déplacés fut le plus violent en Europe après la seconde guerre mondiale et l’un des plus complexes du siècle.  Les bombardements de l’Otan de 1999 mirent finalement fin à la guerre du Kosovo, la dernière de la décennie.

L’ancienne fédération éclata ainsi en une multitude de micro-Etats, pas toujours viables et souvent gangrenés par la corruption et le narcotrafic.

Si la Serbie n’a pas été la cause du chaos qui a embrasé l’Europe, et une partie du monde au XXème siècle, elle a modestement participé à son embrasement en 1914, à la première des guerres mondiales classiques. Et elle a clos ce même chapitre des guerres à l’ancienne avec les conflits de la dernière décennie du siècle passé, avant que ne s’ouvre un nouveau chapitre de notre histoire, débuté le 11 septembre 2001, avec le siècle des guerres terroristes et des cyberguerres.

La Serbie a pu se considérer au centre du monde, au cœur des ambitions dévorantes des grands empires. Tout le monde sait que, de tout temps, ces empires ont comploté pour s’approprier les richesses du pays. Petite principauté, royaume des Serbes, Croates et Slovènes puis Royaume de Yougoslavie, république fédérative, Serbie – et – Monténégro, avant de retourner en 2006 à son état de petite république parmi cette mosaïque de petites républiques qu’est devenue l’Europe. 

Tout ça pour ça, pourrait-on dire… Des nationalismes d’un autre âge qui ont entrainé ruine et carnage. Mais Gavrilo Princip a de toute façon son monument, à Belgrade, à quelques pas des ruines de l’ancien ministère de la défense détruit en 1999 lors des bombardements de l’OTAN. Un monument à la ruine du pays ?

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