L’imposteur

L’imposteur

J’ai découvert la formule de Dieu. Je veux dire par là que j’ai enfin prouvé l’inexistence de Dieu de manière définitive. Ce n’était d’ailleurs pas si difficile que ça. J’ai en effet prouvé que Dieu n’était pas nécessaire à l’existence du monde. Car il peut y avoir création de matière sans qu’un principe supérieur, transcendant, n’intervienne dans ce processus. L’énergie de la gravitation contrebalance l’énergie nécessaire à la création d’un univers. Dieu n’a donc rien à voir là-dedans. Voici ma démonstration :

La relativité a opéré la fusion de l’espace et du temps, deux notions qui étaient complètement distinctes en mécanique galiléenne. Il faut quatre nombres pour déterminer un événement dans le « continuum » d’espace et temps : trois pour sa localisation spatiale, mais cela n’est plus nécessairement vrai au niveau global. (par exemple ses coordonnées cartésiennes (x, y, z) ou sphériques (r, θ, ϕ)) et un pour sa date. La structure mathématique correspondant à ce « continuum » à quatre dimensions est celle de variété. Avant de décrire cette dernière, il convient d’éclaircir un point : vouloir former un continuum d’espace-temps signifie implicitement que les grandeurs d’espace et de temps se voient donner la même dimension physique. Par convention, nous choisirons cette dimension être celle d’une longueur (donc mesurée en mètres dans le Système International). Pour obtenir les temps dans la dimension usuelle, il faut donc introduire un facteur de conversion qui a la dimension d’une vitesse : il s’agit de la constante c = 2.99792458 × 108 m s−1 . Au risque de tuer le suspense, disons tout de suite que cette constante correspondra à la vitesse de la lumière dans le vide telle que mesurée par un observateur localement inertiel. Une variété est un ensemble qui « ressemble localement » à R n (dans le cas présent n = 4). Plus précisément, une variété de dimension 4 est un espace topologique E tel qu’en chacun de ses points, on peut définir un voisinage homéomorphe à un ouvert de R 4. En langage imagé, cela veut dire que sur toute partie pas trop grosse de la variété, on peut étiqueter les points par 4 nombres.

Remarque : Il est conventionnel en relativité d’étiqueter les 4 coordonnées sur la variété d’espace-temps par (x 0 , x1 , x2 , x3 ), plutôt que (x 1 , x2 , x3 , x4 ), car en général la coordonnée x 0 est du genre temps et les trois autres du genre espace (ces termes seront définis plus bas). Nous utilisons ici cette convention, même si à ce stade de la discussion, les coordonnées (x 0 , x1 , x2 , x3 ) sont tout à fait arbitraires. On peut donc juste voir cela comme la convention d’indice des tableaux du C/C++ ou de Python plutôt que celle du Fortran… Il convient de souligner que la ressemblance locale avec R 4 s’arrête à l’étiquetage des points et ne s’étend pas à la structure d’espace euclidien de R 4 .

L’espace-temps de la relativité restreinte est constitué par la variété de dimension 4 la plus simple qui soit : R 4 lui-même. Par contre, la variété utilisée pour décrire l’espace-temps en relativité générale peut être différente de R 4 , en particulier si l’on considère un espace-temps contenant des trous noirs ou un modèle cosmologique. Remarque : La définition de variété donnée ci-dessus est intrinsèque : elle ne suppose pas que E soit plongé dans un espace plus grand.

Ainsi on peut définir les variétés de dimension 2 sans les considérer comme des sous-ensembles de l’espace euclidien R 3 (par exemple, la définition de la sphère comme l’ensemble des points (x, y, z) tels que x 2 + y 2 + z 2 = 1 fait évidemment appel à R 3 ). Notons que l’application ci-dessus va d’un ouvert de R 4 vers un autre ouvert de R 4 , si bien que la notion de différentiabilité invoquée à son égard n’est autre que celle des applications internes à R 4.

Merleau-Ponty, par exemple, traite du corps comme conscience, de la conscience du corps, qui se résout en gestes, attitudes, comportements, significations. Mais le corps est autre chose que la conscience du corps : celle-ci nous livre l’endroit d’un envers qui demeure mystérieux et inaccessible. Malebranche, ne voyant pas de commune mesure entre la décision de lever le bras et les réactions motrices qui s’ensuivent dans ce membre, dissociait le domaine spirituel de la réalité organique. Il semble que cette dissociation persiste dans les analyses de Merleau-Ponty, dont on peut se demander si elles ne constituent pas une sorte de retour à un occasionnalisme où le rôle dévolu par Malebranche au Dieu des chrétiens serait joué par l’homme intégralement libre de la métaphysique sartrienne.

Et nous avons encore Aristote qui, dans sa Métaphysique :

Πάντες ἄνθρωποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται φύσει. Σημεῖον δ’ ἡ τῶν αἰσθήσεων ἀγάπησις· καὶ γὰρ χωρὶς τῆς χρείας ἀγαπῶνται δι’ αὑτάς, καὶ μάλιστα τῶν ἄλλων ἡ διὰ τῶν ὀμμάτων. Οὐ γὰρ μόνον ἵνα πράττωμεν ἀλλὰ καὶ μηθὲν μέλλοντες πράττειν τὸ ὁρᾶν αἱρούμεθα ἀντὶ πάντων ὡς εἰπεῖν τῶν ἄλλων. Αἴτιον δ’ ὅτι μάλιστα ποιεῖ γνωρίζειν ἡμᾶς αὕτη τῶν αἰσθήσεων καὶ πολλὰς δηλοῖ διαφοράς. Φύσει μὲν οὖν αἴσθησιν ἔχοντα γίγνεται τὰ ζῷα, ἐκ δὲ ταύτης τοῖς μὲν αὐτῶν οὐκ ἐγγίγνεται μνήμη, τοῖς δ’ ἐγγίγνεται.  Καὶ διὰ τοῦτο ταῦτα φρονιμώτερα καὶ μαθητικώτερα τῶν μὴ δυναμένων μνημονεύειν ἐστί, φρόνιμα μὲν ἄνευ τοῦ μανθάνειν ὅσα μὴ δύναται τῶν ψόφων ἀκούειν (οἷον μέλιττα κἂν εἴ τι τοιοῦτον ἄλλο γένος ζῴων ἔστἰ, μανθάνει δ’ ὅσα πρὸς τῇ μνήμῃ καὶ ταύτην ἔχει τὴν αἴσθησιν. Τὰ μὲν οὖν ἄλλα ταῖς φαντασίαις ζῇ καὶ ταῖς μνήμαις, ἐμπειρίας δὲ μετέχει μικρόν· τὸ δὲ τῶν ἀνθρώπων γένος καὶ τέχνῃ καὶ λογισμοῖς. Γίγνεται δ’ ἐκ τῆς μνήμης ἐμπειρία τοῖς ἀνθρώποις· αἱ γὰρ πολλαὶ μνῆμαι τοῦ αὐτοῦ πράγματος μιᾶς ἐμπειρίας δύναμιν ἀποτελοῦσιν.

Si l’on songe à cette manière propre à chacun de vivre son corps, on s’aperçoit qu’il n’existe pas de physiologique pur dans la vie humaine, peut-être même pas d’anatomique pur. Les belles études du professeur Truquemuche sur la douleur ont mis en pleine lumière le caractère paradoxal de ce qui paraissait pourtant une donnée primitive de la conscience du corps. L’expérience du clinicien oblige à considérer comme insuffisantes les patientes recherches de laboratoire qui, à coup de piqûres d’épingle soigneusement dosées et réparties sur la surface du corps, avaient permis d’isoler un système de récepteurs spécifiques constituant dans l’organisme un sens de la douleur. Pareil schéma aboutit à faire du système sensori-moteur un tout isolé, comme un empire dans un empire, alors que la vie organique est faite de la constante interaction des régulations cérébro-spinales avec les régulations sympathiques et endocriniennes ; ces interférences bouleversent les conceptions simplistes fondées sur la neurologie : « Nous n’avons pas le droit, écrit le professeur Truquemuche, de parler d’excitant dolorifique en soi : il n’y a pas de douleur hors de l’homme, de chaque homme.

Bref, pour conclure, Dieu n’existe pas.

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