Awa, petite détective du Sénégal

Extrait

En ce temps-là, je venais d’avoir douze ans, nous habitions dans une ruelle des Parcelles Assainies, près de Cambérène. L’hivernage, lentement, se rapprochait. Le vent ne faisait plus tourbillonner les nuages de poussière et nous ressentions tous les jours un peu plus la chaleur moite de ces mois pluvieux. Lorsque nous rentrions à pied de l’école, et que le soleil était haut dans le ciel, nous arrivions à la maison, trempées de sueur, nos vêtements collant au corps, la bouche pâteuse.

Je rentrais tous les jours en compagnie de mon amie Astou. Nous étions alors en CM2. Lorsque nous le pouvions, et ce n’était pas toujours facile dans une classe de 70 élèves, nous apprenions le français, et aussi à compter et à calculer, toutes choses qui allaient nous être utiles dans la vie. Notre maître nous enseignait aussi la géographie et l’histoire du Sénégal. Je lui en serai toujours reconnaissante, car c’est lui qui m’a appris à aimer mon pays. Parfois, il ne venait pas, parfois c’était aussi nous qui ne venions pas, lorsque nos mères avaient besoin de notre aide. Heureusement, j’avais Astou. C’était une mince jeune fille de treize ans, presque aussi grande que sa mère, douce comme du lait caillé, avec des yeux rieurs et de longs cheveux tressés qui lui descendaient dans le bas du dos. Nous étions comme deux doigts d’une même main, comme deux filles de même père, même mère, et nous allions vagabondant dans les rues de notre quartier, celui que l’on appelait le quartier de la mosquée.

Ce jour-là, nous traînions nos sandales dans la poussière des rues, joyeuses, discutant sans trêve du vendredi suivant, jour où nous devions passer notre examen d’entrée en sixième. Cet examen, c’était pour nous une porte ouverte sur le monde, nous l’attendions depuis un an avec curiosité, anxiété et espoir. Nous supputions nos chances et celles de nos compagnons :

– Aminata, la pauvre, qui ne peut pas étudier chez elle, elle ne l’aura jamais son examen.

– Mbaye, lui, a beaucoup de chance. Son père a les moyens de l’aider, il lui a même fait donner des cours de soutien…

A la sortie de l’école, les élèves s’égaillaient dans toutes les directions. Nous, Astou et moi, passions devant la gare routière, la borne-fontaine et la mosquée Darou-Salam, avant de nous perdre dans un dédale de ruelles défoncées. Nous longions alors les petites boutiques de pièces détachées et les épiceries, la dibiterie du vieil Amadou et la grande essencerie Shell. De là, nous pouvions rentrer directement ou passer devant la boutique de Diop, le revendeur. Il y avait toujours foule devant son magasin qui proposait des articles de ménage, des montres, des radios, parfois même des téléviseurs, toutes ces choses de toubabs que nous avions rarement l’occasion de voir. Astou et moi, nous nous cachions à l’angle de la rue, derrière un mur en pisé, et nous regardions longuement ce monde étrange : des hommes, à l’allure parfois inquiétante, sales, déguenillés, apportaient des objets enveloppés dans de grands sacs plastiques bleus ; dans la soirée, de riches ménagères du quartier venaient faire leurs achats et repartaient avec une radio on un jeu de casseroles à bon prix. La boutique de Diop était pour nous un endroit mystérieux, un peu magique, qui avait un goût de fruit succulent mais venimeux. Nous nous en approchions parfois un peu trop près, pour mieux voir l’amoncellement de marchandises de toutes formes et de toutes couleurs qui ornaient la devanture du magasin, tendre la main et toucher toutes ces merveilles, et c’est alors que le gros homme nous poursuivait en hurlant des imprécations : « Pouilleuses, voleuses… ! Soyez maudites ! »